Extrait de la carte de Cassini (feuille de Lille), vers 1758. On y voit le village d’Annappes dans son environnement rural au XVIIIᵉ siècle, au temps de Marie Jeanne MARESCAUX. Source : Bibliothèque nationale de France, Gallica.
🌿 Quand l’économie dicte les unions : l’histoire de Marie Jeanne MARESCAUX et de Toussaint Joseph MAHIEU (Annappes, XVIIIᵉ siècle)
Au cœur du village d’Annappes, au XVIIIᵉ siècle, la vie des familles repose sur des équilibres fragiles. La terre n’est jamais très vaste, la mortalité guette, et chaque foyer est une petite unité de production où chacun a sa place. C’est dans ce monde rural — bien différent de celui que nous imaginons aujourd’hui — que s’inscrit la vie de Marie Jeanne MARESCAUX, née vers 1708, et dont le destin va être marqué par deux unions très différentes.
🕊️ Une première vie de famille, puis la rupture
Le 30 avril 1737, Marie Jeanne épouse Antoine DEBAINE à Annappes. Elle a environ 29 ans, un âge tout à fait courant pour une femme qui prend en charge un foyer.
Entre 1742 et 1747, cinq enfants naissent, comblant la maison d’activités et d’obligations.
Mais en avril 1748, la vie bascule : Antoine meurt brutalement à 46 ans.
Marie Jeanne devient veuve à environ 40 ans, avec cinq enfants de moins de six ans. Dans la société rurale flamande, c’est une situation extrêmement précaire. Une veuve seule risque non seulement la pauvreté, mais aussi la dépendance envers la communauté paroissiale.
🤝 Le remariage comme nécessité économique
Dans les semaines qui suivent, la question de son remariage ne relève pas du sentiment, mais du besoin vital d’assurer la survie du foyer.
C’est dans ce contexte qu’intervient Toussaint Joseph MAHIEU, âgé de 27 ans, un homme plus jeune qu’elle de 13 ans.
Vu de nos jours, cette différence d’âge surprend.
Mais au XVIIIᵉ siècle, ce type d’union était non seulement fréquent, mais aussi parfaitement logique.
🌾 Pourquoi un jeune homme épouse-t-il une veuve plus âgée ?
Dans les campagnes du Nord, un jeune homme n’accédait pas facilement à l’autonomie.
Pour devenir laboureur ou chef de maison, il fallait :
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posséder des outils,
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disposer d’un toit,
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et souvent, hériter d’une parcelle de terre.
Or Toussaint, à 27 ans, est très probablement un domestique agricole, valet de charrue ou journalier, c’est-à-dire un homme encore sans établissement.
Le mariage avec une veuve change tout pour lui :
✔ Une maison toute prête
Il devient immédiatement chef d’un foyer déjà équipé.
✔ Des terres, un jardin, du bétail (même modestes)
Ce sont les biens du premier ménage que la veuve apporte en dot.
✔ Un statut social
Un homme marié est désormais un homme « établi », appelé comme parrain, témoin, et reconnu dans la communauté.
✨ Et pour Marie Jeanne, qu’apporte Toussaint ?
Beaucoup :
✔ Une force de travail indispensable
Un foyer agricole sans homme ne peut survivre :
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labour,
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entretien des terres,
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location des parcelles,
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charroi,
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récoltes.
✔ Un soutien pour élever cinq enfants en bas âge
À 40 ans, seule, la tâche est impossible.
✔ Une protection économique
La veuve qui ne se remarie pas dépend souvent des “tailles” de la paroisse, c’est-à-dire des secours obligatoires des habitants.
Ainsi, pour Marie Jeanne comme pour Toussaint, le remariage est une alliance économique sensée, guidée par le bon sens paysan plus que par l’affect — même si l’entente personnelle a certainement compté aussi.
👶 Une nouvelle naissance : Romain
Deux ans après leur mariage, en août 1750, Marie Jeanne donne naissance à un fils :
Romain Joseph MAHIEU.
Elle a alors environ 42 ans, âge où les naissances deviennent rares : l’existence d’un seul enfant issu du couple est parfaitement cohérente avec la démographie de l’époque.
⚰️ La fin d’une vie, le début des recompositions
Marie Jeanne meurt à Annappes le 2 janvier 1768, laissant Toussaint veuf à 47 ans avec un adolescent de 17 ans.
Comme c’est l’usage, il se remarie l’année suivante, en 1769, avec Ruffine BAUMEZ, une femme de 30 ans qui lui donnera 7 enfants.
Cette troisième union s’inscrit dans le même mécanisme :
➡️ un homme veuf ne peut rester seul longtemps dans un foyer rural.
🚶♀️ Une migration inattendue : Ruffine quittera le Nord
En 1795, veuve à son tour, Ruffine quitte Annappes pour rejoindre sa fille Julie MAHIEU dans les Yvelines, à Gaillon-sur-Montcient.
Elle y finit sa vie loin de son village natal — un déplacement exceptionnel pour une femme de son époque.
🌿 Ce que raconte cette histoire
Le mariage entre Marie Jeanne et Toussaint illustre parfaitement les mécanismes économiques qui régissaient la vie rurale au XVIIIᵉ siècle :
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la terre, au cœur des équilibres familiaux,
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le remariage systématique pour préserver la maisonnée,
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les alliances souvent motivées par la survie économique,
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et, plus largement, un monde où le foyer est une unité de production indispensable à la communauté.
Cette histoire, loin d’être isolée, reflète la réalité quotidienne d’Annappes et des villages flamands de l’époque.
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