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Anne Marie WEDLY

 

image générée par chatgpt avec une ressemblance avec ses petites filles


Les silences d’Anne Marie : entre exil et résilience

Naissance d'Anne Marie

Anne Marie voit le jour en 1854, dans le petit village de St Ulrich, niché à la frontière entre la Suisse et l'Allemagne. Son arrivée se fait dans l’ombre d’un mystère : son père est inconnu, et son destin semble déjà tracé par une histoire familiale marquée par des femmes fortes, mais seules.

Elle naît dans la maison de Jean, un domestique huilier de 51 ans, marié à Marie Anne, la fille de sa grand-tante. Ce foyer, où elle pousse son premier cri, est bien plus qu’une simple demeure : c’est un refuge, un lieu de transmission, où les liens se tissent au-delà des générations. Marie Anne et Catherine, la mère d’Anne Marie, ont grandi ensemble, élevées par la mère de Catherine. Ce qui les unit, ce n’est pas seulement le sang, mais une solidarité façonnée par la vie.

Dans cette maison, Jean est le seul homme parmi ces femmes qui, année après année, affrontent la vie sans compagnon pour les épauler. 

L’histoire d’Anne Marie s’inscrit dans une lignée de femmes aux destins marqués par le mystère et la résilience. Son arrière-grand-père, Gaspard, maçon de son état, bâtissait bien plus que des murs : il laissait derrière lui une famille aux ramifications complexes, issue de deux unions et de sept enfants.

Parmi eux, Marie Madeleine, la grand-mère d’Anne Marie, traversa la vie en portant seule le poids de la maternité. Quatre enfants, tous de père inconnu, élevés dans l’ombre des non-dits entre ses 22 et 35 ans. Sa sœur, Elisabeth, connut un sort encore plus cruel : mère à 21 ans, elle disparut trois ans plus tard, laissant derrière elle un enfant orphelin et une absence qui pesa lourd sur la famille.

Et le cycle sembla se répéter. Les filles de Marie Madeleine suivirent une trajectoire similaire : Marie Anne, avec trois enfants dont les pères resteront inconnus, et Catherine, avec un enfant qu’elle éleva seule. Une lignée de femmes fortes, déterminées à avancer sans jamais pouvoir compter sur un compagnon pour les épauler.

Mais derrière ces générations de filles-mères, une question plane : était-ce le simple fruit du destin ou le poids d’un héritage silencieux, inscrit dans les fibres mêmes de cette famille ? Anne Marie, née au cœur de cette histoire, en portera-t-elle la marque ?

Sa première vie

Anne Marie, ballottée par l’histoire et les circonstances, semble toujours suivre un chemin dicté par l’urgence et l’inconnu. À 11 ans, elle quitte son village avec sa mère pour le Territoire de Belfort, alors fraîchement annexé par l’Allemagne. Ont-elles vu en ce bouleversement une opportunité, une chance de repartir ailleurs ? Mais à Belfort, quelque chose se brise : Catherine est retrouvée en 1872, seule. Où est Anne Marie, alors âgée de seulement 18 ans ? 

Puis, la vie reprend son cours. À 21 ans, elle épouse Célestin, un ouvrier de fabrique bien plus âgé qu’elle, à Grandvillars. Un mariage qui scelle une nouvelle étape, mais qui repose sur des fondations fragiles. Célestin lui-même connaît la solitude : trois de ses frères et sœurs ont quitté la France avant son mariage pour s’installer aux États-Unis, laissant derrière eux un foyer silencieux et à moitié vide. Il ne reste qu’une seule sœur, mère de six enfants, qui lutte chaque jour pour maintenir son propre foyer à flot.

Sa mère, elle, est à Beaune, employée chez un négociant rencontré à Belfort. Les distances, les séparations, les absences… Dans cette famille, on semble toujours avancer sans jamais regarder en arrière.

En 1879, Charles naît, et la famille trouve refuge à Porrentruy, paisible petite ville suisse du Jura. Trois ans plus tard, en 1880, Marie Hortense vient agrandir le foyer. Anne Marie, enfin mère, peut-elle espérer une stabilité qu’elle n’a jamais connue ?

Mais le destin frappe encore. En 1883, Célestin s’éteint à 44 ans. Anne Marie se retrouve seule, à 29 ans, avec deux enfants de 2 et 5 ans. Sans ressources, sans soutien, combien de temps peut-elle tenir ? 

Puis survient l’impensable : elle quitte Porrentruy, abandonne ses enfants et rejoint sa mère en Côte d’Or. Pourquoi ce choix ? Était-ce un acte de survie, un besoin de retrouver un repère ? Et surtout, à qui a-t-elle confié Charles et Marie Hortense ? Ces enfants, laissés derrière elle, ont-ils grandi dans l’ombre de cette absence ou ont-ils trouvé une autre famille prête à les accueillir ? 

Son histoire, comme celle des femmes qui l’ont précédée, est marquée par l’exil, le renoncement, et ce besoin inexorable de survivre, quoi qu’il en coûte. Mais ce départ laisse derrière lui des interrogations, des silences, et des destinées brisées..

Maladie et abandons

En 1886, Anne Marie a 31 ans et tente de se reconstruire à Dijon, où elle exerce comme cuisinière. Après une vie de déplacements et de pertes, elle semble enfin trouver un semblant de stabilité. Mais le destin continue de la bousculer.

En février 1887, elle donne naissance à Jules, un enfant qu’elle reconnaît officiellement un mois plus tard. Elle l’élève seule jusqu’en mars 1888, où, contrainte par les circonstances et par un séjour à l’hôpital, elle le confie à l’Assistance publique, espérant le reprendre après sa convalescence. Mais une question se pose : de quoi souffre-t-elle ? Était-ce une maladie, une faiblesse physique liée aux années de privation, ou bien les conséquences de la vie rude qu’elle a menée ? Et surtout, était-elle déjà enceinte lorsqu’elle prend cette décision difficile ?

Car à peine neuf mois plus tard, en décembre 1888, elle donne naissance à Jeanne. Cette fois, elle ne garde pas l’enfant auprès d’elle et la laisse immédiatement à l’Assistance publique. Jules, lui, ne sera jamais récupéré. Anne Marie disparaît de leur vie sans jamais revenir.

Mais quelques mois plus tard, tout bascule. Quatre mois après la naissance de Jeanne, elle tombe une nouvelle fois enceinte. Cette fois, pourtant, son histoire prend un tournant inattendu : le futur père, Joseph, accepte pleinement cette grossesse et lui propose le mariage. Un engagement qui tranche avec son passé. Joseph est maçon, il a 26 ans et habite à Soindres, dans les Yvelines. Il a dix ans de moins qu’elle, mais semble prêt à l’accueillir dans sa vie.

Comment l’a-t-elle rencontré ? Peut-être à Dijon, lorsqu’il était clairon à la Section des Infirmiers. Mis en congé en juillet 1888, il a pu séjourner dans la ville par la suite. Une rencontre dans le tumulte du quotidien ? Un échange fortuit qui mène à une union inattendue ? Impossible de savoir à quel moment exact leurs chemins se sont croisés, mais une certitude demeure : il lui offre enfin une stabilité qu’elle n’a jamais connue.

Mais il ne sait pas tout. Anne Marie ne lui parle pas des enfants qu’elle a abandonnés. Elle ne mentionne ni Jules ni Jeanne, ni même Marie Hortense. Elle lui dit seulement ce qu’elle ne pourra jamais dissimuler : son premier mari est mort en Suisse, et son fils a péri à l’âge de trois ans. Ils sont tous les deux "morts à la guerre", un récit façonné pour masquer les vérités qu’elle ne peut pas affronter.

Ce mariage marque un nouveau départ, mais il repose sur des silences. Des fragments d’histoire manquent, des absences planent. Que cherche-t-elle à fuir ? Peut-elle vraiment recommencer une nouvelle vie sans le poids du passé ?

Une nouvelle famille

L’histoire d’Anne Marie semble marquée par des choix douloureux, des silences et une force intérieure qui lui a permis d’avancer malgré tout. Après tant d’années d’errance et de décisions précipitées, elle semble enfin trouver une stabilité à Soindres avec Joseph. Mais à quel prix ?

En cinq mois, elle donne naissance à Jeanne Albertine, puis deux ans plus tard à Marie Ange. Ces prénoms ont-ils été choisis en mémoire des enfants qu’elle a laissés derrière elle ? Était-ce une façon de renouer avec un passé qu’elle dissimulait à son mari, à sa famille, et peut-être même à elle-même ? 

En 1896, la famille s’installe à Mantes, où elle donne naissance à Albert, son dernier enfant. Elle est alors âgée de 41 ans et semble définitivement installée dans cette nouvelle vie. Jusqu’à sa mort en 1922, elle n’évoquera jamais ses premières années, ni les enfants qu’elle a abandonnés. Mais a-t-elle vraiment réussi à les oublier ? Le poids du secret, du choix, et de la culpabilité, ont dû l’accompagner jusqu’à la fin.

Comment a-t-elle élevé ses trois derniers enfants ? Peut-être avec l’ombre de ce passé, cette peur d’un jour devoir affronter ce qu’elle a laissé derrière. 

Pour Suzanne, sa petite-fille, il y avait quelque chose de flou autour de cette grand-mère, une part de mystère qui n’a jamais été entièrement dévoilée.

Était-elle une femme fuyant son passé ou tentant simplement de survivre à son histoire ? Son silence est devenu sa protection, mais aussi son plus grand secret. Et aujourd’hui, à travers ces fragments retrouvés, son histoire ressurgit enfin.

Ses enfants

Les fils dispersés de l’histoire d’Anne Marie prennent forme au fil des ans. Malgré les abandons et les silences, ses enfants ont tracé leurs propres chemins, affrontant leur destin avec une résilience que l’on devine dans chaque fragment de leur parcours.

Charles, resté à Belfort, n’a fondé un foyer qu’à l’âge de 47 ans, domestique discret dans une ville où sa mère avait disparu des décennies plus tôt. 

Marie Hortense, elle, s’est mariée jeune à Caspach, donnant la vie mais aussi affrontant la douleur de perdre un enfant.

Jules, brillant instituteur, a embrassé l’armée avant de s’éteindre à 91 ans, témoin de tant de bouleversements historiques. 

Jeanne a construit sa famille à 24 ans, tandis que Jeanne Albertine a vu s’agrandir la sienne jusqu’à accueillir six enfants avant de vivre près d’un siècle. 

Marie Ange, quant à elle, s’est mariée à Paris à seulement 17 ans, emportée dans une nouvelle vie loin de l’histoire familiale. 

Albert, lui, n’a pas eu cette chance : mort à 37 ans après une vie marquée par l’ombre de l’emprisonnement et des vols.

Le fil invisible qui relie chacun de ses enfants est celui du mystère laissé par leur mère. Ont-ils cherché à comprendre ? À retrouver celle qui les avait laissés derrière elle ? A-t-elle entendu parler d’eux, appris leurs succès ou leurs échecs ? Ou bien a-t-elle choisi d’enfermer ce pan de sa vie dans un silence irrévocable ?

Suzanne, la petite-fille, avait raison : il y avait quelque chose de trouble autour d’Anne Marie. Une femme dont l’histoire s’écrit à la fois dans les traces qu’elle a laissées et celles qu’elle a effacées. Une vie marquée par la fuite, mais aussi par l’inévitable empreinte d’un passé qui, malgré elle, l’a poursuivie jusqu’au bout.

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