Dans la vallée ensoleillée de la Marina Alta, non loin des oliveraies et des vignes, la famille Aguilar Pino – Muñoz Rocher vivait depuis toujours à Murla, un petit village accroché aux collines. José, journalier né en 1789, travaillait la terre comme son père avant lui. Sa femme, Josefa, éleva leurs enfants dans la modestie mais aussi dans l’espoir d’un avenir meilleur.
Au fil des ans, la maison s’était remplie : Maria Antonia, née en 1823, suivie de José, puis de Joaquina et enfin du benjamin Antonio.
Mais la vie dans ces villages d’Alicante était rude. La terre donnait peu, et chaque année, des familles prenaient la mer pour chercher du travail ailleurs. On parlait d’un pays de l’autre côté de la Méditerranée, l’Algérie, conquise par les Français et en quête de bras.
Un drame à Orba
En 1845, Maria Antonia se maria avec Bartolomé Sont, probablement un jeune du voisinage. Mais quelques mois à peine après leurs noces, le malheur s’abattit : Bartolomé mourut en février 1845 à Orba, village voisin de Murla. Maria Antonia n’avait que 22 ans.
Pour ses parents, José et Josefa, ce drame fut un signe. L’Espagne semblait leur refuser l’avenir : pauvreté pour les uns, veuvage prématuré pour leur fille aînée. Fallait-il rester et s’enliser dans la misère, ou bien partir vers cette Algérie dont parlaient tant de voisins déjà embarqués depuis Alicante ?
La traversée
La décision fut prise : vendre ce qu’ils pouvaient, réunir les enfants et tenter leur chance de l’autre côté de la mer. On imagine la scène : un matin, le chariot chargé de maigres biens, les enfants serrés contre leur mère, et Maria Antonia, encore vêtue de noir, montant avec eux sur la route du port.
Depuis Dénia ou Alicante, ils embarquèrent sur un navire qui les mena en quelques jours à Alger. Les conditions de traversée étaient dures : chaleur, promiscuité, odeur de sel et de mal de mer. Mais au loin, quand apparurent les murailles blanches de la Casbah et le port grouillant de vie, ce fut comme une promesse : une nouvelle vie commençait.
Alger, Bab El Oued
À Alger, les Aguilar s’installèrent dans le quartier populaire de Bab El Oued, où résonnaient les accents espagnols et italiens aussi fort que le français. José retrouva du travail comme journalier ; Josefa blanchissait peut-être le linge pour d’autres familles. La communauté espagnole d’Alger était déjà vivante, et les Aguilar y prirent place.
Le destin, pourtant, ne leur laissa pas longtemps de répit. José mourut en 1849, à l’hospice d’Alger, laissant sa veuve et ses enfants porter le flambeau. Josefa tint encore quelques années, jusqu’en 1855.
Les enfants et l’ancrage algérois
C’est alors aux enfants de construire :
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Maria Antonia, veuve d’Espagne, se remaria à Alger avec un Français, Jean-Benoît Chaverondier, et fit souche dans la capitale.
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José, le fils, s’installa à Mahelma, village agricole près d’Alger, où il travailla la terre et transmit le nom Aguilar.
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Joaquina se maria à Alger, poursuivant la lignée.
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Antonio, le cadet, connut un destin bref : marié jeune, il mourut à 22 ans, laissant une fille derrière lui.
Héritage
Le veuvage de Maria Antonia, ce drame survenu à Orba en 1845, fut sans doute l’étincelle qui poussa les Aguilar à quitter leur Espagne natale. De ce deuil naquit une migration, et de cette migration une nouvelle histoire familiale.
Leur mémoire flotte encore entre les collines de Murla et les ruelles ensoleillées de Bab El Oued, témoignant de ce courage qui fit arracher leurs racines pour les planter sur une autre rive de la Méditerranée.

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