Les dragonnades : quand les « missionnaires bottés » s’invitèrent chez les protestants
À la fin du XVIIᵉ siècle, le royaume de France est secoué par une politique religieuse brutale. Les protestants, pourtant tolérés depuis l’édit de Nantes (1598), deviennent les cibles d’une répression systématique. C’est dans ce contexte que naît une pratique qui marquera durablement la mémoire des familles huguenotes : les dragonnades.
Les origines : vers la révocation de l’édit de Nantes
En 1681, Louis XIV, conseillé par Louvois et Bossuet, décide de forcer le retour au catholicisme dans les provinces où la religion réformée est encore vivace, comme le Poitou, le Languedoc ou le Dauphiné. Officiellement, il s’agit de « ramener les âmes égarées à la vraie foi ». Dans les faits, c’est une politique d’intimidation.
Les « missionnaires bottés »
Le procédé est simple et terrifiant : des compagnies de dragons (soldats de cavalerie) sont logées de force chez les familles protestantes. Ces soldats, surnommés ironiquement les « missionnaires bottés », harcèlent les habitants jour et nuit :
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ils s’installent dans les maisons, consomment vivres et vin,
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maltraitent parfois les enfants,
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et exercent une pression constante jusqu’à ce que la famille abjure sa foi réformée.
L’intendant du Poitou, René de Marillac, se vante ainsi d’obtenir des milliers de conversions en quelques semaines seulement.
Témoignage local : Jean Migault à Mougon
Un témoignage précieux nous est parvenu : le journal de Jean Migault, maître d’école à Mougon (Deux-Sèvres). Le 22 août 1681, il note l’arrivée des dragons dans sa maison :
« Arriva le régiment de cavalerie, qui a ruiné une grande partie des familles de ceux de notre religion. […] Les dragons, ou missionnaires bottés, qu’on appela dragonnades. »
Son récit illustre la terreur ressentie dans tout le Poitou, l’une des premières régions à subir ces pratiques.
Une efficacité redoutable
Les dragonnades obtiennent les résultats attendus : sous la contrainte, des milliers de protestants abjurent et leur nom est consigné dans les « rôles des nouveaux convertis ». Ces registres, que l’on peut encore consulter aujourd’hui dans les archives (notamment sur Gallica), portent la mémoire de ces conversions forcées.
Certaines familles choisissent de céder pour protéger leurs enfants ou préserver leurs biens, d’autres préfèrent l’exil vers les pays protestants voisins (Pays-Bas, Suisse, Angleterre).
Vers la révocation de l’édit de Nantes (1685)
Les dragonnades ne sont qu’une étape. En 1685, Louis XIV signe l’édit de Fontainebleau, qui révoque définitivement l’édit de Nantes. Les temples protestants sont détruits, les pasteurs bannis, les fidèles contraints à la clandestinité ou à la conversion.
Héritage et mémoire
Les dragonnades laissent une trace profonde dans la mémoire protestante. Elles rappellent que la foi fut souvent affaire de survie et que les choix des familles étaient dictés par la peur de perdre leurs enfants, leurs maisons, ou même leur vie.
Aujourd’hui encore, les noms inscrits dans les rôles des « nouveaux convertis » témoignent du destin de milliers de familles, comme celles de Cherveux ou de Champdeniers, forcées de choisir entre abjuration, exil ou mort.
Sources
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Jean Migault, Journal (1681-1688), éd. Société de l’Histoire du Protestantisme Français.
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Musée virtuel du Protestantisme, notices « Les dragonnades » et « Premières dragonnades en Poitou ».
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Rôles des nouveaux convertis (1681-1683), consultables sur Gallica (BnF).
La famille DANJON, meuniers de Cherveux : conversions sous contrainte
Au milieu du XVIIᵉ siècle, la famille DANJON vit au rythme du moulin de Lussay, à Cherveux, dans les Deux-Sèvres. Daniel DANJON, meunier, travaille sur les bords du Lambon. Comme beaucoup de familles artisanes du Bocage poitevin, les siens appartiennent à la religion réformée, solidement implantée dans la région depuis un siècle.
Mais en 1681, leur vie bascule. Cette année-là, le Poitou devient un laboratoire de la politique religieuse de Louis XIV. L’intendant René de Marillac inaugure la méthode des dragonnades : des régiments de cavaliers sont logés chez les familles protestantes pour les contraindre à abjurer. Le terme de « missionnaires bottés » résume la violence de la méthode.
Les DANJON n’échappent pas à cette pression. Leurs noms apparaissent dans le « Rolle des nouveaux convertis à la foy catholique depuis février 1681 ». Ces registres, dressés paroisse par paroisse, consignent les abjurations obtenues de force. Si d’autres familles voisines, déjà catholiques, n’y figurent pas, les DANJON deviennent malgré eux un exemple de conversion contrainte.
Le contexte est particulièrement lourd : les meuniers sont des figures visibles dans le paysage villageois. Leur moulin, lieu de passage obligé pour les paysans, est aussi un symbole économique. C’est donc sous surveillance étroite que Daniel DANJON, son épouse Marie PEYRAUD et leurs filles, dont Marguerite DANJON, acceptent la conversion. Marguerite n’a alors qu’une dizaine d’années.
En cédant à la pression, Daniel protège à la fois sa famille et son outil de travail. Refuser, c’était risquer la ruine ou l’exil. Cette abjuration permit aux DANJON de continuer à faire tourner le moulin, mais laissa une trace indélébile dans la mémoire familiale.
Quelques décennies plus tard, Marguerite DANJON épousera Jean GOICHON, lui-même issu d’une lignée de meuniers. Par ce mariage, deux familles marquées par l’Histoire — l’une par la contrainte religieuse, l’autre par les épreuves climatiques du terrible hiver 1739-1740 — uniront leurs destins.


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