Jean Jacques LAISNÉ – Le fils du manouvrier devenu
charretier
Gaillon-sur-Montcient – Lille, hiver 1791
Jean Jacques LAISNÉ naquit en mars 1766 à Gaillon-sur-Montcient, dans une famille nombreuse et modeste. Son père Jacques, manouvrier, peinait aux champs, et sa mère Marie Louise CAUCHOIS travaillait la filature. La fratrie était solide, solidaire, et nombreuse : neuf enfants au total, dont plusieurs fils, promis eux aussi au travail des bras.
En 1791, Jean Jacques avait vingt-cinq ans. Il savait mener une charrette, ferrer un cheval, réparer une roue. Il connaissait les chemins du Vexin, les foires de Meulan et de Mantes, et les manœuvres agricoles de chaque saison. Pourtant, cette année-là, la routine fut brisée : des hommes de la commune furent réquisitionnés pour le service de la Nation. La guerre se préparait, et les besoins en hommes, en chevaux, en véhicules, en main-d’œuvre mobile étaient criants.
Dans cette France en ébullition, les routes devenaient des couloirs d’histoire, et Jean Jacques s’y engagea. Il ne fut pas soldat au sens noble du terme. Il fut charretier au service de l’armée ou d’un convoi civil rattaché à l’intendance, emmenant fourrages, munitions ou pain jusqu’à Lille, ville-frontière et place forte du nord.
Il partit sans savoir qu’il y resterait plusieurs mois. Là-bas, la ville était surpeuplée de militaires, de républicains convaincus, de femmes livrées à elles-mêmes, de réfugiés venus de Belgique, d’enfants faméliques, de sermons patriotiques sur les places et d’ouvriers sans patrons. Dans cette ville agitée, il fit la connaissance de Julie Joséphine MAHIEU, une jeune femme originaire d’Annappes, qui travaillait comme servante chez des bourgeois patriotes.
Lui était du Vexin, elle du plat pays flamand. Ils parlaient différemment, mais se comprirent. Une histoire naquit — rapide, intense, sans doute sincère. Le 16 mai 1792, leur fille Catherine Joséphine vit le jour, hors mariage. L’enfant fut baptisée, mais non reconnue sur-le-champ. Le devoir appelait ailleurs. Lille allait bientôt subir l’état de siège. Jean Jacques quitta la ville, probablement rappelé à Gaillon, où l’attendait une mère vieillissante et une terre à cultiver.
À son retour, la vie reprit son cours. Il se maria avec Julie peu avant 1795, l’année où naquit leur seconde fille, Julie Adélaïde, cette fois déclarée "du légitime mariage". En quelques années, Jean Jacques eut onze enfants, tous élevés à Gaillon. Il devint cultivateur, puis charretier de nouveau — mais pour le pain et le bois, plus que pour la guerre.
Sa fratrie prit des chemins variés : son frère Antoine devint domestique à Paris, inscrit sur les registres de la Terreur ; Louis servit au 6e bataillon de Soissons ; Claude devint marchand de vin ; Marie Geneviève épousa un tailleur d’habits.
Jean Jacques, lui, ne quitta plus son village — sauf à la toute fin, pour mourir chez sa fille à Meulan. Mais ce court passage à Lille, ce moment entre deux mondes, fit de lui un acteur invisible de la Révolution, un témoin silencieux dont le destin, comme tant d’autres, se joua sur une route de boue, entre un cheval, une charrette et une jeune femme du Nord.
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