🧭 Jean Joseph Fischer (1800–1839)
Soldat d'honneur, père absent malgré lui
Jean Joseph Fischer naît le 13 septembre 1800, à Strasbourg, dans une maison ouvrière du vieux quartier catholique. Son père, Franciscus Josephus, est menuisier ; sa mère, Salomée Gerber, une Alsacienne solide et discrète. Mais le foyer est frappé par la mort : Jean Joseph perd son père alors qu’il n’a pas trois ans. Sa sœur Barbe meurt elle aussi peu après sa naissance. Il reste seul avec sa mère, veuve courageuse, jusqu’à ses 27 ans.
En 1820, il est appelé pour le service militaire à Strasbourg. À cette époque, la France est dirigée par Louis XVIII. Les guerres napoléoniennes sont finies, mais l’armée reste un pilier de l’ordre royal. Jean Joseph est affecté à un corps d’élite : le 5ᵉ régiment d’infanterie légère. Il y gravit les échelons jusqu’à devenir caporal, intégré à la 3ᵉ compagnie du 6ᵉ bataillon. Vers 1828, il est envoyé en garnison à Schirmeck, bourg vosgien encaissé entre forêts et montagnes. Il y fait la connaissance d’une jeune femme locale, Genéreuse Jacquemin.
Quand Genéreuse tombe enceinte à l’été 1828, le couple n’est pas encore marié. Pas par négligence, mais parce qu’un soldat ne peut se marier sans autorisation hiérarchique. Cette autorisation, délivrée par la 22ᵉ division militaire, arrive enfin à la fin novembre. Les démarches prennent du temps. Ce n’est que le 7 janvier 1829, à quelques jours du terme, que Jean Joseph et Genéreuse peuvent enfin s’unir devant l’état civil de Schirmeck.
Le 16 janvier 1829, Jean Joseph junior vient au monde. Le père le reconnaît aussitôt, et l’enfant est pleinement légitimé. Deux autres enfants suivent : Louis Martin en 1830, et Joséphine en 1832. Jean Joseph père, désormais qualifié de gendarme royal dans les actes, semble avoir été détaché de son régiment pour des missions de sécurité dans la région.
Mais soudain, plus rien. Après 1832, plus aucun enfant. Pas de mention de sa présence dans les recensements de 1836. A-t-il été rappelé par son régiment ? Affecté ailleurs ? C’est probable. Car en 1839, on retrouve sa trace… à plus de 600 kilomètres, dans la ville de Châtellerault, dans la Vienne.
Le 7 septembre 1839, Jean Joseph meurt à l’hospice civil de Châtellerault, seul. L’acte de décès est signé par deux hommes pauvres, pensionnaires de l’hospice. Il est dit encore "caporal au 5ᵉ régiment d’infanterie légère", preuve qu’il n’a jamais cessé d’être militaire. Il avait 38 ans.
Pourquoi Châtellerault ? C’est là qu’a été installée, en 1819, la grande manufacture d’armes de l’État. L’établissement est gardé par des soldats et anciens militaires, souvent détachés ou malades, hébergés à l’hospice attenant. C’est sans doute là, dans un logement d’infortune, que Jean Joseph a terminé sa vie.
⚖️ Une absence expliquée, mais pas effacée
Il n’a pas abandonné sa famille par choix. Il a probablement été envoyé loin, sans retour possible, dans un système militaire rigide où l’on n’existait qu’en uniforme. Sa femme, restée seule à Schirmeck avec trois enfants, ne s’est jamais remariée. Son fils Louis Martin, âgé de 9 ans à sa mort, quittera à son tour l’Alsace pour Meulan, poursuivant sans doute ce cycle d’exil silencieux.
Jean Joseph Fischer appartient à cette génération de petits soldats oubliés des livres d’histoire, mais gravés dans les lignées. Il n’aura pas laissé de fortune, ni de lettres, ni de portrait – mais il a existé, à la frontière du devoir et de l’effacement.
Commentaires